Résumé de la conférence Sauvons l’Europe/Guernica ADPE du 6 décembre 2007 par Laurent Richard.
Qu’en est-il de l’élargissement de l’Union européenne aux pays des Balkans occidentaux, c’est-à-dire aux pays qui formaient jusqu’au début des années 90 l’ancienne Yougoslavie, moins la Slovénie qui a déjà rejoint l’UE et plus l’Albanie.
Nous ferons une présentation de la situation dans chaque pays sans entrer véritablement dans les détails mais en précisant l’avancée des relations avec l’UE.
Ceci pour montrer comment l’intégration européenne est le meilleur outil pour amener une « normalisation » de la situation dans ces États, tout en délimitant les limites de cet outil et la prééminence des problématiques de la politique locale et régionale.
Mais avant toute chose, il nous faut parler du contexte actuel de l’UE et des pays des BO, et expliquer les procédures liées à l’intégration des nouveaux pays.
1- L’élargissement
A la Commission élargissement, l’on parle actuellement « d’optimisme prudent » concernant le climat dans les pays membres de l’UE. Après les « non » français et hollandais, le blocage n’a pas été seulement institutionnel mais a aussi affecté la politique de l’UE vis-à-vis des pays en voie de négociations et d’intégration.
Lors du conseil européen de Lisbonne en décembre 2006, un consensus s’est établi sur la vocation européenne des pays des Balkans occidentaux et sur la stratégie d’élargissement. Un équilibre a été trouvé entre d’un côté, la nécessité de soutenir les démocrates des pays candidats, les économies et la stabilisation de la région et de l’autre, l’opinion publique des pays membres qui reste malheureusement encore réticente à cette politique d’élargissement.
Ainsi, en attendant un accord indispensable sur le fonctionnement institutionnel les 25 se sont mis d’accord sur une politique conditionné d’élargissement. La politique des trois C :
1. Conditionnalité forte définit par les critères de Copenhague (1993) auxquels s’ajoutent, pour les pays des Balkans, le processus d’association et de stabilisation (accords qui intègrent une clause sur la coopération totale avec le Tribunal pénal international et l’arrestation des criminels de guerre) ;
2. Consensus démocratique au sein des pays membres qui suppose un important travail de communication et d’information ;
3. Capacité d’intégration au sein de l’UE qui dépend en partie de la question institutionnelle.
L’idée est de combiner approfondissement politique et élargissement graduel.
L’élargissement a des effets positifs clairs. Même si quatre ans après l’élargissement de 2004, il est encore un peu tôt pour en tirer des conclusions définitives, les données permettent de considérer un effet gagnant/gagnant pour les pays membres et les pays intégrés.
« L’élargissement constitue l’un des outils politiques les plus puissants dont dispose l’Union européenne. Il sert ses intérêts stratégiques en matière de stabilité, de sécurité et de prévention des conflits. Il a contribué à renforcer la prospérité et les perspectives de croissance. »
Malgré tout, le débat reste délicat sur cette question. Question qui est plus liée maintenant à l’avenir de la construction européenne ce qui évite un débat uniquement tourné sur la Turquie.
Mais ce débat a un impact négatif sur les pays candidats (pourquoi faire des sacrifices si l’intégration est incertaine).
Il nous faut cependant reconnaître que les retards, les difficultés de ces pays sont avant tout dues aux politiques que mènent leurs gouvernements respectifs.
Il en est ainsi pour tous les pays, excepté la Croatie, et dans une moindre mesure la Macédoine.
Les deux pays où la situation est la plus préoccupante sont la Serbie et la Bosnie-Herzégovine.
2- Les Balkans occidentaux
La situation dans ces pays est meilleure qu’il y a quelques années. La sécurité est assurée et les performances économiques sont encourageantes.
Mais les progrès sont beaucoup trop lents, bloqués par un climat politique qui a très peu changé depuis 1995. La question du statut du Kosovo symbolise ce blocage dans l’ère nationaliste.
Et aujourd’hui, on peut constater un ralentissement des réformes.
Les problèmes auxquels sont confrontés ces pays ne sont pas les problèmes « classiques » d’un État en voie d’adhésion, la Croatie mise à part. Ce n’est pas, par exemple : la Macédoine ne s’est pas alignée à la directive n°X sur l’environnement.
Les problèmes sont encore de l’ordre du « State building », de la gouvernance, de l’Etat de droit, de la criminalité organisée et du développement de la société civile.
Etats des lieux, pays par pays qui reprend le rapport de novembre 2007 de la commission élargissement :
L’Albanie :
« L’Albanie a signé un accord de stabilisation et d’association (ASA) avec l’Union européenne le 12 juin 2006. Un accord intérimaire est entré en vigueur et la ratification de l’ASA par les États membres est en cours.
L’Albanie a réalisé quelques progrès en ce qui concerne la démocratie et l’État de droit. Des avancées ont aussi été enregistrées dans le domaine des droits de l’homme et de la protection des minorités, ainsi que du renforcement des droits de propriété.
L’Albanie a accompli des progrès sur la voie d’une économie de marché viable. Elle devra fournir de nouveaux efforts considérables en matière de réforme afin d’être à même de faire face, à long terme, aux pressions concurrentielles et aux forces du marché à l’intérieur de l’Union. »
La Macédoine :
« L’ancienne République yougoslave de Macédoine a obtenu le statut de pays candidat en décembre 2005.
L’ancienne République yougoslave de Macédoine a pris de nouvelles mesures en vue de satisfaire aux critères politiques. La mise en œuvre de l’accord-cadre d’Ohrid continue de contribuer à la consolidation de la démocratie et de l’État de droit. Certains progrès ont été réalisés en ce qui concerne la réforme du système judiciaire et les résultats obtenus dans la lutte contre la corruption sont encourageants. De manière générale, le respect des droits de l’homme et la protection des minorités, y compris les relations interethniques, ont été améliorés. Cependant, la poursuite des tensions politiques en particulier entre partis albanais et macédoniens dans le pays retarde la mise en œuvre des réformes. La corruption reste par ailleurs endémique.
En revanche, le chômage est resté particulièrement élevé. Les faiblesses institutionnelles continuent d’entraver le fonctionnement de l’économie de marché. Le système judiciaire est encore engorgé et les organes de régulation et de contrôle ne disposent pas toujours des moyens nécessaires pour remplir leur mission en toute efficacité. Le niveau de sécurité juridique reste faible et le fonctionnement des marchés de l’emploi reste médiocre. »
Le Monténégro :
« Un accord de stabilisation et d’association (ASA) a été signé avec le Monténégro le 15 octobre 2007.
Le Monténégro a bien progressé dans la mise en place du cadre juridique et des institutions nécessaires après la déclaration de son indépendance.
Des progrès ont été réalisés dans la mise en place du cadre nécessaire au respect des droits de l’homme et à la protection des minorités.
La réforme judiciaire n’en est toutefois qu’à ses balbutiements. La corruption est répandue. L’administration publique doit être considérablement renforcée. Les conditions de vie des réfugiés et des personnes déplacées, notamment des Roms, sont préoccupantes. La stabilité macroéconomique s’est renforcée. La croissance économique rapide a contribué à la création d’emplois, tandis que l’inflation est restée modérée.
Les progrès sont toutefois restés limités en ce qui concerne les politiques sociale et de l’emploi, l’énergie, l’environnement, ainsi que la justice, la liberté et la sécurité. Le Monténégro doit continuer à améliorer sa capacité juridique, politique et administrative afin d’assurer une mise en œuvre réussie de l’ASA. »
La Croatie :
« Les négociations d’adhésion avec la Croatie ont été engagées le 3 octobre 2005 et évoluent favorablement.
Jusqu’à présent, quatorze des 33 chapitres de négociation ont été ouverts. Des critères de référence ont été définis en vue de l’ouverture de dix chapitres supplémentaires. La Commission espère que la Croatie sera prochainement en mesure de satisfaire aux critères en suspens.
La Croatie continue de respecter les critères politiques de Copenhague. La mise en œuvre des stratégies visant à réformer le système judiciaire et à lutter contre la corruption s’est poursuivie. L’arriéré judiciaire a été réduit. En matière de lutte contre la corruption, les premiers résultats concrets ont été observés. La Croatie a mené de nouvelles actions visant à résoudre les problèmes des minorités et, dans une moindre mesure, à assurer le retour des réfugiés. La Croatie continue de coopérer pleinement avec le TPIY.
Cependant, d’importants défis doivent encore être relevés dans des domaines prioritaires tels que la réforme du système judiciaire défaillant, la réforme de l’administration publique et la lutte contre la corruption, qui reste un phénomène largement répandu.
En ce qui concerne les critères économiques, la Croatie constitue une économie de marché viable. Elle devrait être en mesure de faire face aux pressions concurrentielles et aux forces du marché à moyen terme à l’intérieur de l’Union pour autant qu’elle mette en œuvre son programme global de réformes avec détermination afin de réduire les faiblesses structurelles. »
Restent les pays où la situation est la plus difficile, la Serbie, le Kosovo (très prochainement indépendant) et la Bosnie-Herzégovine.
La Serbie :
« La Serbie a sensiblement progressé dans les négociations portant sur l’accord de stabilisation et d’association (ASA). En juin 2007, la Serbie a rempli les conditions requises et repris les négociations relatives à l’ASA, qui avaient été suspendues en mai 2006. Les négociations ont été finalisées sur le plan technique. Néanmoins, la conclusion de l’accord reste subordonnée à la coopération pleine et entière du pays avec le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, qui doit déboucher sur l’arrestation et le transfèrement à La Haye de tous les inculpés encore en fuite. La réforme judiciaire a toutefois pris du retard et le nouveau cadre juridique n’est toujours pas achevé. La corruption est répandue.
Le pays a, dans une large mesure, maintenu les principaux éléments d’une politique économique saine. La forte expansion de l’économie s’est poursuivie. L’afflux de capitaux étrangers est resté important. Toutefois, le pays souffre de profondes divisions politiques, qui ont entraîné un ralentissement du rythme des réformes. »
Ainsi le pays est divisé entre une minorité politique résolument libérale et pro-européenne et des partis nationalistes issus de l’ère Milosevic. Au milieu, se débat le parti démocratique de l’ancien premier ministre assassiné Zoran Djinjic (2003), aujourd’hui dirigé par le timoré président Tadic. Timoré car il reprend malheureusement la rhétorique nationaliste en particulier sur le Kosovo. Mais il est vrai que la population n’est elle même pas prête à entendre ce discours tant la vérité sur le conflit et les crimes perpétrés au nom du peuple serbe par le régime de Milosevic n’ont toujours pas été abordés courageusement.
Et ce point a de très importantes répercutions dans les pays limitrophes: le Kosovo et la Bosnie-Herzégovine.
Le Kosovo :
« Le système institutionnel du Kosovo est régi depuis 1999 par la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies établissant une administration civile internationale intérimaire (MINUK).
La stabilité générale se maintient, malgré les négociations relatives au statut. Les institutions provisoires d’auto-administration se sont acquittées de leurs tâches essentielles dans leur domaine de compétence.
Les relations entre les Albanais et les Serbes du Kosovo sont restées tendues. Le renforcement de l’État de droit, la politique de lutte contre la corruption, la lutte contre la criminalité organisée et le renforcement du dialogue entre les communautés constituent les principaux défis du Kosovo. La corruption reste répandue. »
L’indépendance est inéluctable et même souhaitable tant il est nécessaire de clarifier la situation. C’est évidemment une solution qui soulève d’énormes problèmes mais elle reste la moins mauvaise. C’est l’Union européenne qui prendra le relais de la mission civile de l’ONU. A l’Europe ici de montrer sa volonté et sa capacité à stabiliser cette région.
L’indépendance du Kosovo signifiera la fin d’un cycle mortel qui a entraîné la dislocation de l’ex-Yougoslavie, un génocide, des centaines de milliers de morts et de réfugiés. Un cycle qui avait débuté au Kosovo avec les premiers discours nationalistes de Milosevic.
La Bosnie-Herzégovine :
« Les négociations en vue de la conclusion d’un accord de stabilisation et d’association (ASA) avec la Bosnie-et-Herzégovine ont débuté en 2005. L’accord a été paraphé le 4 décembre 2007.
La Bosnie-et-Herzégovine a peu progressé sur la voie d’une économie de marché viable. La persistance d’un taux de chômage très élevé reste un sujet de préoccupation majeur. Mais la croissance économique est restée élevée et s’est accélérée. L’inflation a été réduite. Toutefois, l’insuffisance de consensus national sur les objectifs fondamentaux de la politique économique a provoqué un ralentissement des réformes tant au niveau des entités qu’aux autres niveaux de gouvernement. »
La Bosnie-Herzégovine reste un pays divisé en deux entités (la République serbe de Bosnie et la Fédération Croato-musulmane) et en trois peuples constitutifs. Depuis octobre 1995, date des accords de paix, le conflit a changé de nature. Il est aujourd’hui un conflit politique où chaque parti nationaliste préserve son pré carré. Car en plus des massacres et des déplacements de population, la guerre fut aussi une guerre de prédation. Et la situation semble bloquée au grand dam de la population civile qui paye le prix fort. La responsabilité de la « communauté internationale », de l’Europe et de la France en particulier est évidente tant l’on ne peut qu’analyser la situation du pays à la lumière du conflit passé. La non-intervention de l’Europe, où plutôt la forme d’intervention choisie et la négociation de la paix avec les fauteurs de guerre aura permis à ces derniers (ceci est vrai en particulier pour la République serbe) de se maintenir au pouvoir.
Depuis, la communauté internationale, représenté par son Haut Représentant (le slovaque Miroslav Ljcak), hésite entre interventionnisme et laissez-faire un peu lâche.
Comme pour la Serbie, l’UE hésite à passer outre certaines clauses pour avancer dans l’intégration de ces deux pays et détourner la population des rhétoriques et partis nationalistes.
Au niveau régional et pour conclure :
Sans penser la région par un prisme yougo-nostalgique, les tenants politiques et économiques sont de dimensions régionales. Paradoxalement, c’est à ce niveau que cela fonctionne le mieux jusqu’à présent.
Après le conflit, l’UE a mis en place le Pacte de Stabilité. Aujourd’hui, il y a une transition vers une structure régionale (SEECP) dont la présidence actuelle est assurée par la Bulgarie et dont le siège est à Sarajevo.
Économiquement, l’ALECE (Accord de Libre Échange Centre-Européen) est entré en vigueur en juillet 2006.
L’UE essaye maintenant d’intervenir au niveau régional avec une approche plus transversale orientée vers le développement (trop longtemps négligé) de la société civile. D’autre part la commission élargissement milite pour une politique plus facile pour l’obtention des visas et des bourses d’études. Cet aspect est très sensible car il fait naître dans la population une sensation de rejet et d’être des citoyens européens de seconde zone. Or, ne serait-ce que pour aider les évolutions politiques et les démocrates pro-européens il est capital de bien signifier la volonté d’intégration que l’UE souhaite pour ces pays.
Quelques liens :
Le site de la Commission européenne :
http://ec.europa.eu/enlargement/
Dossier en ligne de la documentation française sur les Balkans :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/
Site de Guernica ADPE :
http://guernica.adpe.free.fr
Site Courrier des Balkans :
http://balkans.courriers.info/